Derrière les discours religieux et les actions de charité se cachait une stratégie d’occupation lente, subtile et profondément sociale.
Parmi les populations les plus ciblées : les Peuhls (ou Fulani), dont la mobilité, le délaissement de leurs zones de concentration, et les frustrations ont été exploitées comme un terreau fertile.
Aujourd’hui, au centre de la manipulation des renégats narcotrafiquants, plusieurs membres de la communauté peuhls sont, ou se font, tués dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Des dénonciations généralement portées par des élites peuhles et des presses étrangères pleuvent.
Mais une question s’impose : où étaient les élites peuhles et ces presses quand ces communautés étaient infiltrées et quand les dangers étaient déjà prévisibles ?
La foi comme cheval de Troie
Dès les années 1990, des ONG islamiques, financées par des réseaux wahhabites ou salafistes, sillonnent le Sahel. Elles s’installent dans les zones rurales, là où l’Administration est quasiment absente, là où l’école publique n’existe pratiquement pas, là où les soins sont difficiles d’accès. Elles y construisent des mosquées, financent des medersas, offrent des bourses d’études et organisent des pèlerinages à la Mecque.
Sous couvert d’aide, elles imposent une nouvelle lecture de l’islam, rigide, intolérante et intégriste. La communauté peuhle, très religieuse, souvent sujette à des tensions foncières avec les populations sédentaires (conflits agriculteurs contre éleveurs), devient l’une des premières cibles de cette stratégie.
Le discours salafiste flatte les frustrations, promet justice, dignité, protection contre les humiliations subies.
La démission coupable des élites peuhles
Durant ces années d’infiltration, peu de voix s’élevaient pour tirer la sonnette d’alarme.
Les leaders religieux traditionnels sont supplantés par de nouveaux prédicateurs radicaux. Les notables communautaires (chefs, députés, fonctionnaires, universitaires, journalistes) observent en silence.
Certains ferment les yeux, d’autres s’accommodent, d’autres mêmes pactisent sur la base de promesses fallacieuses. L’infiltration se fait au vu et au su de tous, mais dans un silence assourdissant. Certes des organisations telles que l’association Paluku et Union Fraternelle des croyants de Dori ont mené des initiatives dans le cadre de la promotion de la paix sociale, mais elles sont restées en deçà l’ampleur du phénomène.
Aujourd’hui, beaucoup d’élites peuhls dénoncent avec vigueur des représailles subies par leur communauté. Il est vrai que les massacres des populations, les discours stigmatisants sont inacceptables.
Mais comment ne pas interroger les responsabilités de cette élite ? Comment ignorer qu’en laissant prospérer cette idéologie dans leur propre maison, elles ont trahi leur devoir de protection et d’éveil des consciences au sein de leur communauté ? Ce silence, résonne aujourd’hui comme une lâcheté qui coûte cher et qui cache même une complicité pour d’autres.
Bien sûr, l’État porte aussi une lourde part de responsabilité. Sa souveraineté mal assumée dans ces zones rurales à travers notamment son incapacité à garantir la justice, la sécurité et les besoins sociaux de base ont laissé le champ libre à toutes les infiltrations.
La communauté prise en otage
La machine est désormais bien rodée. Les groupes comme la Katiba Macina au Mali ou Ansarul Islam au Burkina Faso ont enrôlé des centaines de jeunes peuhls, en jouant sur les conflits intercommunautaires, les injustices foncières, les frustrations historiques.
La plupart des combattants sont issus de milieux ruraux, analphabètes, coupés des structures étatiques. Leurs familles sont utilisées comme chair à canon, comme boucliers humains, compliquant ainsi le travail de libération des territoires par les forces combattantes. Les terroristes sur le terrain, en complicité avec certaines élites peuhles, poussent l’inhumanité jusqu’à provoquer l’assassinat de cette communauté pour les utiliser comme devises de propagandes.
Rompre le silence pour un sursaut salvateur nécessaire
L’engagement et le professionnalisme des FDS et des VDP sont à louer. La récente libération des otages majoritairement peuhls à Solenzo est une preuve concrète de l’humanité de ces forces de défense et de sécurité. Mais le réveil ne viendra pas uniquement de l’État. Il doit venir du cœur même des communautés. Il est temps pour les élites peuhles en particulier, de regarder la réalité en face, d’assumer leur part dans le drame actuel, et de reconstruire un discours religieux, social et politique capable d’offrir une alternative aux discours de haine.
L’avenir du Sahel se joue à l’intérieur des communautés. Si celles-ci ne sont pas les premières actrices de la paix, les premiers boucliers contre les infiltrations des groupes radicaux, les premiers espaces de réconciliation, alors aucun plan militaire ni de développement ne suffira. Il est temps de rompre avec le silence, de dénoncer les impostures, de reconstruire un leadership communautaire responsable.
Simon KABORE, Innovateur Social
Citoyen Burkinabè
Tel : 70 24 44 55
E-mail : simonkabore@gmail.com