Innovateur social
Alors que les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), confrontés à une crise
sécuritaire menaçant leur existence, ont décidé de réagir en traçant leur propre voie
face à la double menace du terrorisme et de l’impérialisme, un débat de fond ressurgit : quelles valeurs doivent fonder la souveraineté africaine ? Et surtout, comment articuler
les droits collectifs des peuples avec les droits humains individuels, dans un contexte de
défense de l’existence même des États ?
Pendant des décennies, nos pays ont tenté de calquer des institutions démocratiques
inspirées des anciennes puissances coloniales : multipartisme sans racines,élections périodiques truffées de manipulations et de corruptions, société civile souvent téléguidée depuis l’étranger.
Les peuples ont vu les promesses de la démocratie libérale se transformer simplement en routines électorales vidées de sens, qui fait la promotion des plus corrompus et des plus rusés. Pire, les peuples ont vu l’impuissance de ces systèmes dits démocratiques face à la menace terroriste, face à l’occupation des terres nationales par des narco-trafiquants sanguinaires, face à la menace de disparition des États.
Les peuples ont constaté que les questions des droits humains s’avèrent être des
stratégies pour enchainer nos États et les paralyser face à l’hydre terroriste. On constate
ainsi institutions et des ONG de défense des droits humains, pratiquer des accusations de
deux poids, deux mesures : les violations des droits humains commises par des armées
étrangères ou des groupes terroristes sont généralement moins visibles dans les rapports
que celles reprochées aux forces nationales engagées dans un combat existentiel.
Prenant conscience de cette manipulation mortelle, les États de l’AES ont de plus en plus
recours au langage des droits des peuples, en particulier le droit à l’autodétermination, à la souveraineté économique et à l’indépendance vis-à-vis de toute domination étrangère.
Dans ce cadre, le peuple n’est pas simplement une addition d’individus, mais un corps social, politique et culturel porteur de droits collectifs, dont l’unité et la sécurité priment. Ces droits des peuples conditionnent l’expression des droits individuels, sur la base logique que les seconds ne sauraient exister tant que les premiers n’existent pas.
Prenons le cas emblématique de la liberté d’expression. Ce droit individuel, qui est fondamentale en théorie, peut devenir, dans un contexte de guerre asymétrique, une faille exploitable par l’ennemi pour menacer l’existence du peuple.
En effet, des messages radicaux, des
discours pour saper le moral des forces combattantes, pour attiser les divisions et créer des conflits communautaires peuvent se cacher derrière le masque de la libre opinion.
Dans les pays du Sahel, où des zones entières sont déstabilisées et des dizaines de vies
fauchées par des groupes armés, cette liberté individuelle ne peut être traitée de la même
manière que dans une situation nationale stable.
Vouloir appliquer de manière naïve la
liberté d’expression dans ce contexte, sans régulation contextuelle, c’est ouvrir la porte à
la propagande terroriste, à la manipulation de l’opinion, à la démoralisation des forces
combattantes et à la fragilisation de l’unité nationale.
Nous sommes contraints, pour notre survie, d’instaurer l’expression de libertés
responsables, contextualisées, encadrées par des valeurs locales et les réalités de survie
de la Nation. La maxime est simple : la parole est libre, mais elle ne doit pas menacer la
cohésion du peuple, ni mettre en danger la vie d’autrui.
L’avenir du Sahel ne se jouera pas dans le copier-coller de modèles et de concepts venus
d’ailleurs, mais dans la capacité à fonder un nouvel équilibre entre liberté et sécurité,
entre droits individuels et droits collectifs. Il importe alors que nous nous engageons à :
– redéfinir les droits humains à partir de nos propres priorités : droit à la sécurité, à
la souveraineté économique, à l’éducation en langue locale, à l’accès à la terre qui
sont des droits des peuples ;
– bâtir des institutions hybrides, où modernité juridique et sagesse traditionnelle
coexistent ;
– former une génération de citoyens éclairés, conscients à la fois de leurs libertés,
mais aussi de leurs responsabilités vis-à-vis de la communauté.
La véritable souveraineté doit inclure la capacité à redéfinir nos droits, nos institutions et nos priorités, à partir de notre histoire et de nos valeurs. Le Sahel a l’occasion historique
de montrer qu’un autre modèle est possible : une gouvernance africaine, enracinée, protectrice, profondément communautaire et humaine.
Simon Kabore ,Tel : +22670244455
E-mail : simonkabore@gmail.com